Cinq caracals font le printemps

Suite du Karoo Predator Project en Afrique du sud avec Marine Drouilly: C’est décembre et dans l’hémisphère sud, l’été arrive doucement et avec lui les orages et la pluie salvatrice. Tout est très sec et les animaux ont faim. Les premières gouttes font sortir les otocyons et les antilopes de leur cachette, comme revigorés, pour boire à la rivière qui coule à nouveau, se nourrir de rosée et respirer l’air épuré du semi-désert.

Décembre, c’est aussi l’époque où les jeunes chacals nés pendant l’hiver austral s’émancipent de leur famille, commencent à disperser et à découvrir un nouvel environnement. C’est le cas de Mister Fox et Rooky, deux jeunes frères capturés en octobre près de leur terrier et en bonne santé. Equipés de colliers GPS car leur poids le permettait, les voici maintenant en pleine phase de découverte. Mister Fox semble plus hardi que Rooky et a déjà traversé 4 fermes en une semaine, se moquant bien des clôtures censées être anti-prédateurs. Les données récoltées vont continuer de permettre à mieux comprendre l’écologie spatiale de ce carnivore persécuté au sein des fermes et de trouver des solutions pour le futur des éleveurs.

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Les clusters de points GPS sont systématiquement examinés sur le terrain. La visite d’une zone où une femelle chacal équipée d’un collier a passé 9 heures nous a permis d’y retrouver une carcasse d’outarde.

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Parfois, les clusters de points GPS nous rappellent la dure réalité du conflit : ici, un mouton tué par l’un des chacals équipés de collier GPS. La femelle aura passé 8 heures sur la carcasse mais n’était pas seule à se nourrir aux vues des traces retrouvées.

Dès le mois de septembre, me voici partie à travers tout le Karoo central pour donner autant de présentations du Projet et des premiers résultats que possible, et cela semble porter ses fruits ! Le printemps austral s’avère un vrai renouveau pour le Karoo Predator Project avec de nouveaux fermiers souhaitant s’impliquer, notamment dans le suivi GPS des prédateurs. Grâce à leur collaboration, 5 caracals ont été capturés en deux semaines et équipés de colliers GPS. Il s’agit de deux mâles (Bagheera et Big Paw) et de trois femelles (Ginger, Marina et Sunshine), tous capturés dans des zones adjacentes, permettant donc au Projet d’étudier les relations entre mâles, femelles et inter-sexes.

Kai et Marine vérifiant le sexe et la condition du mâle Bagheera, ainsi que la présence éventuelle de parasites externes ou tiques.

Kai et Marine vérifiant le sexe et la condition du mâle Bagheera, ainsi que la présence éventuelle de parasites externes ou tiques.

La famille Lund avec la femelle caracal Ginger lors de sa capture. Impliquer les fermiers – et notamment les enfants – lors des captures est une excellente façon de parler de la biologie des prédateurs et de les leur montrer vivants plutôt que morts.

La famille Lund avec la femelle caracal Ginger lors de sa capture. Impliquer les fermiers – et notamment les enfants – lors des captures est une excellente façon de parler de la biologie des prédateurs et de leur montrer vivants plutôt que morts.

Au travers des questionnaires que je conduis dès le mois d’octobre auprès des éleveurs de toute la région, je décèle un changement de mentalité, les fermiers ne souhaitant plus éliminer systématiquement le caracal. C’est en partie grâce aux données des colliers GPS qui nous permettent de mettre en avant le très faible nombre d’animaux domestiques tués par le félin. Pour le chacal à chabraque en revanche, c’est une autre histoire, le canidé faisant un réel carnage parmi les moutons. La haine est bien ancrée du côté des éleveurs et l’animal continue d’être pourchassé, tous les moyens étant bons pour s’en débarrasser : piégeage, chasse nocturne, poison.

Pour tout ce travail de terrain, j’ai la chance d’être aidée par un jeune aventurier de 21 ans, passionné de conservation, de montagnes et du monde sauvage : Kai Fitchen (www.mykape.com). Qu’il s’agisse de noter les données biométriques lors des captures, de conduire des autopsies ou de visiter des clusters* de points GPS issus des colliers à la recherche de proies tués et de fécès, Kai est une aide précieuse.

L’arrivée des photographes animaliers professionnels Nathalie Houdin et Denis Palanque a également crée beaucoup d’intérêt chez les fermiers du Karoo : enfin une manière de pouvoir montrer au public leur vie quotidienne, leur passion pour leur terre, de parler du conflit qu’ils ont avec les prédateurs sans être jugés ainsi que de leurs incertitudes pour l’avenir. Leur venue a permis de davantage resserré les liens avec le Projet et de continuer notre travail ensemble vers la cohabitation éleveurs-prédateurs, même si nous sommes encore loin du but ! Vous pouvez suivre les aventures de nos deux reporters dans le Karoo via leur page facebook : Au coeur du Karoo

Le photographe professionnel Denis Palanque prenant des photos de Noodle, une femelle caracal apprivoisée par une famille de fermiers, prouvant que l’on peut faire de son ennemi un ami!

Le photographe professionnel Denis Palanque prenant des photos de Noodle, une femelle caracal apprivoisée par une famille de fermiers, prouvant que l’on peut faire de son ennemi un ami!

La photographe professionnelle Nathalie Houdin photographiant Ginger équipée d’un collier GPS, juste avant son réveil et son relâché dans la ferme d’un éleveur participant au Projet.

La photographe professionnelle Nathalie Houdin photographiant Ginger équipée d’un collier GPS, juste avant son réveil et son relâché dans la ferme d’un éleveur participant au Projet.

 

Je vous donnerai de plus amples informations sur les animaux équipés de colliers et les activités du Projet dans le prochain article à paraître. A très bientôt sur les traces des mésoprédateurs africains et meilleurs voeux pour 2015.

Marine Drouilly
* Clusters: Points GPS consécutifs proches les uns des autres, indiquant que l’animal a passé plusieurs heures dans la même zone.